El Seed, artiste de street-art, aime bousculer les conventions et surtout les idées reçues. Avec son projet « Perception », un calligraffiti dévoilé en 2016 à Manshiyat Nasr au Caire, il veut redorer l’image du quartier des chiffonniers et de ses habitants.
Une anamorphose monumentale
Déambulez dans les rues de Manshiyat Nasr et vous apercevrez des dizaines d’immeubles peints. De simples graffiti ? Pas tout à fait. Pour bien saisir l’ampleur du projet Perception, c’est au sommet du mont Mokattam, qui surplombe le quartier, qu’il faut grimper. En contrebas, un immense « calligraffiti » (El Seed mêle dans ses fresques et ses œuvres la calligraphie arabe à l’art du graff).
« Quiconque veut bien voir la lumière du jour doit d’abord s’essuyer les yeux. » C’est cette phrase, attribuée à Athanase d’Alexandrie, évêque copte du 3e siècle, que l’artiste a choisi pour son projet. 52 fragments sur autant d’immeubles qui, grâce au recul ne forment plus qu’un seul et même élément : une gigantesque anamorphose.
Pas moins d’un an aura été nécessaire pour mûrir le projet, convaincre les autorités locales, et choisir la phrase qui donnera tout son sens à l’œuvre. En un mois, El Seed et son équipe, harnachés sur plusieurs nacelles, peignent des immeubles sous le regard intrigué des habitants. Le 15 mars 2016, le résultat est dévoilé sur les réseaux sociaux. Dans un contexte tendu en Égypte, l’artiste était resté jusque-là discret sur ses travaux. Les habitants sont sous le charme lorsqu’ils découvrent le dernier tour de force d’El Seed : réalisée avec une peinture fluorescente, cette anamorphose, s’illumine la nuit !
« Rendre plus beau un endroit moche et simple »
Au-delà da prouesse technique c’est le contexte qui donne tout son sens à cette œuvre. « J’avais entendu parler de cette communauté et l’idée était initialement de rendre plus beau un endroit moche et simple » confie El Seed à Jeune Afrique. Cette communauté c’est celle que l’on surnomme les Zabaleen, littéralement les gens des poubelles. Installés dans les années 1940, ce sont environ 65.000 personnes, principalement des chrétiens coptes, qui vivent du ramassage et du recyclage des ordures de l’une des plus grandes métropoles du monde, Le Caire.
Environ 5.000 tonnes de déchets sont déversées chaque jour dans le quartier. Les détritus sont partout. Les odeurs âcres emplissent l’air. Pourtant, comme le rappelle El Seed, « ces personnes ne vivent pas dans la poubelle mais de la poubelle, des déchets des autres. » Stigmatisés du fait de leur activité, les Zabaleen ont pourtant mis en place un système de recyclage parmi les plus performants du monde. Ils parviennent à recycler entre 80 et 85% des déchets qu’ils collectent, contre 2 à 8% seulement pour les entreprises internationales.
Pourtant depuis le début des années 2000, leurs conditions de vie se sont dégradées. La municipalité a en effet confié le ramassage et le recyclage des déchets à des entreprises étrangères. En 2009, sous couvert de prévenir une épidémie de grippe A, les autorités imposent l’abattage des 300.000 cochons du quartier, qui éliminaient les déchets organiques. En 2013 toutefois, la tendance semble de nouveau s’inverser : la ville du Caire signe un contrat avec 44 entreprises familiales (soit plus de 1.000 personnes), une reconnaissance du travail jusqu’alors informel mais essentiel des nettoyeurs du Caire.
Avec cette œuvre, El Seed, qui a signé des calligraffiti du Qatar à la Malaisie en passant par la Tunisie ou la France, invite chacun de nous à regarder au-delà des préjugés.
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