Comment le coronavirus a accéléré la mutation de l’e-commerce alimentaire en Afrique

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Durant l’épidémie, des start-up de livraison de produits agricoles et alimentaires ont tiré leur épingle du jeu avec les diasporas comme nouveaux clients.

Le nouveau mouvement : acheter à Paris, à New York ou à Dubaï de quoi nourrir sa famille à Lomé. Pour l’entreprise togolaise e-agribusiness, la pratique a été à la fois nouvelle et salvatrice. Durant les mois où le nouveau coronavirus a ralenti la marche du monde le dilemme était simple : laisser pourrir la marchandise ou se réinventer. « Nous avons donc imaginé une nouvelle manière d’écouler les productions », explique Edeh Dona Etchri, Directeur Général. Il lance alors ABusiness, un service de livraison de riz, de maïs, d’huiles et autres vivres à destination des particuliers. « La formule nous a permis de limiter les contacts sur les marchés qui sont des zones de contagion », précise Edeh Dona Etchri.

Pour aider les transactions, un chatbot – un agent qui dialogue avec l’utilisateur – est ajouté à l’application de messagerie WhatsApp, canal de de communication privilégié en Afrique. Comme la formule a rencontré le succès, Edeh Dona Etchri envisage de recruter de nouveaux employés. En plus de rendre plus fiables les livraisons grâce à des partenariats avec des compagnies de conducteurs de motos, il espère augmenter ainsi sa clientèle et booster son chiffre d’affaire mensuel.

Pour Andrew Mude qui pilote la division Recherche agricole, production et développement durable de la Banque africaine de développement (BAD), « le Covid-19 a accéléré l’utilisation des technologies numériques et mobiles dans le secteur agricole ».

L’économiste kenyan rappelle par ailleurs que ces dernières années, « on avait déjà observé une croissance des marchés en ligne et mobiles pour les intrants agricoles (semences, engrais, etc.) et les sortants (produits bruts, livraisons de nourriture, etc.) envoyés directement aux consommateurs ». Un phénomène qui s’est donc encore accéléré puisque le Covid-19 menace toujours les économies et la sécurité alimentaire.

La moitié des récoltes perdue

Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une récession de 3,2 % en Afrique subsaharienne en 2020. L’e-commerce apparaît donc comme l’une des solutions pour éviter le naufrage du secteur agricole. Mais, pour Olukemi Afun-Ogidan, coordinatrice du programme dédié à l’agriculture digitale de la BAD, il reste encore une vraie marge de progression dans ce secteur. A ses yeux, le potentiel agricole de l’Afrique n’est pas encore pleinement exploité.

Pour la spécialiste, « il est nécessaire de produire des aliments plus efficacement, de réduire le gaspillage à toutes les étapes de la chaîne de valeur agricole, […] de permettre aux agriculteurs d’accéder aux marchés et de réaliser des revenus équitables ». Ce qui nécessite une adaptation à « la nouvelle norme de la distanciation sociale, qui a créé une opportunité pour des solutions numériques adaptées au secteur agricole », rappelle Mme Afun-Ogidan.

Les diasporas ont été les premières à saisir cette opportunité. Elles ont fait profiter leurs familles en leur faisant livrer des denrées alimentaires. Au Togo, elles représentent 5 % des clients d’ABusiness. « On a eu des commandes des Etats-Unis, du Brésil, de l’Allemagne, de Côte d’Ivoire, de France, liste Edeh Dona Etchri. Ils étaient parfois en confinement total et ne pouvaient plus sortir pour transférer de l’argent. Notre service est arrivé à point nommé », se réjouit-il.

Au Liberia, la diaspora a aussi envoyé des vivres via Cookshop. C’est une plateforme de livraison de repas et de produits agricoles collectés dans les fermes. Aujourd’hui une commande sur dix vient de l’étranger. Précurseur, Charles Dorme Cooper avait lancé cette start-up en 2013 pour soutenir les producteurs locaux, dont « l’offre est importante et très souvent à un prix compétitif ». Au plus fort de l’épidémie de coronavirus, l’entreprise a toujours livré, même si elle avoue avoir souffert 

D’une semaine à l’autre, son nombre d’utilisateurs a augmenté et les commandes ont grimpé, de 1 500 début janvier à 2 500 par mois dès avril. Dès le début de la crise sanitaire, Cookshop a aussi travaillé avec le ministère de la santé pour livrer des repas au personnel des hôpitaux, « aux infirmières qui font les tests Covid à l’aéroport, aux personnes isolées en quarantaine ou encore aux policiers en service pendant le couvre-feu ».

Mêmes perspectives pour Bringo Fresh, en Ouganda, start-up spécialisée dans le commerce en ligne de fruits et légumes. Les produits biologiques sont collectés dans de petites fermes locales. Il livre ses boxes en carton sur les pas-de-porte de la classe moyenne de Kampala. Il fournit des restaurants, des hôtels et des industriels agroalimentaires.

Tripler les revenus

Le Directeur Général de Bringo Fresh, David Matsiko espère bien que le marché de la diaspora va croître. Il s’y prépare en pariant sur « un modèle de franchise, pour nous développer dans d’autres parties de l’Ouganda et dans d’autres pays », ajoute celui qui vise l’export de produits biologiques africains partout dans le monde. Dans les mois qui viennent, la compagnie va aussi aider les fermiers à s’organiser en coopérative, pour simplifier les transactions. Un passage obligé alors que l’agriculture africaine est principalement dirigée par de petits exploitants. Ces dernier sont confrontés à des problèmes de stockage et de transport des récoltes, ce qui aboutit encore à de nombreuses pertes.

Reste que le modèle économique du commerce en ligne est loin d’être consolidé sur le continent. Ainsi, en septembre 2019, la start-up Afrimarket avait mis la clé sous la porte. Basé à Paris, ce spécialiste d’e-commerce en Afrique de l’Ouest n’avait pas réussi à lever suffisamment de fonds pour son développement. Le leader du secteur, Jumia, est quant à lui toujours sur le chemin de la rentabilité. Après avoir été la première licorne africaine introduite à Wall Street en avril 2019.

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